Alicia Philibin-Kayser est avocat à Paris Marne la Vallée. Elle intervient en droit du travail au service des employeurs et en droit équin.

Surveillance des salariés

La « surveillance » des salariés est un sujet sensible qui nécessite de trouver un équilibre parfait entre pouvoir disciplinaire de l’employeur et protection de la vie privée des salariés.

A l’inverse des Etats-Unis, les mouchards et autres moyens de surveillance invasifs, comme par exemple les logiciels et autres systèmes informatiques permettant à l’employeur de recevoir automatiquement une copie de tous les messages écrits ou reçus par ses salariés, ou de revisionner une journée complète d’un salarié sur son ordinateur, sont totalement proscrits en France.

 

La problématique se pose également concernant les appels téléphoniques qui, dans certains métiers, nécessitent d’être enregistrés.

Quels sont alors les moyens pour l’employeur de vérifier que le salarié utilise les outils professionnels de la société (messagerie professionnelle, téléphone) dans un objectif conforme à ses missions professionnelles ? Quel est l’impact du RGPD sur les systèmes de surveillance de l’activité des salariés ?

 

L’équilibre est parfois difficile à trouver et un rappel des règles s’avère nécessaire.

Le contrôle des e-mails professionnels est encadré par la jurisprudence

Les messages envoyés par les salariés à une personne extérieure ou interne à l’entreprise transitent par le système informatique de l’entreprise. Dès lors, l’employeur est susceptible de conserver, archiver ou contrôler les courriers électroniques. Toutefois, la problématique de l’usage de la messagerie électronique par les salariés doit être articulée avec la protection de la correspondance privée, dont la violation tombe sous le coup des articles 226-15 et 432-9 du code pénal.

 

La chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois dans l’affaire Nikon de 2001 avant de préciser sa position en 2010.

 

Par principe, les courriers adressés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir librement.

 

D’ailleurs, cette position a été confirmée en 2016 par la Cour européenne des droits de l’homme qui a admis qu’un employeur puisse surveiller les mails envoyés par les salariés pendant leur temps de travail depuis leur messagerie professionnelle, dès lors que cette surveillance reste raisonnable.

 

En revanche, ne peuvent être librement consultés par l’employeur les mails identifiés par le salarié comme étant « personnels » ou « privés » ou si le contenu des courriels relève de sa vie privée.

 

A noter également que si les fichiers n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, l’employeur ne peut jamais les utiliser si leur contenu s’avère relever en réalité de sa vie privée.

 

Dans la même ligne, l’employeur qui accède aux mails envoyés et reçus depuis la messagerie personnelle de son salarié viole le secret des correspondances. Et ce, même si ces mails ont été rédigés sur le poste de travail, le salarié ayant droit « même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ».

 

Ainsi, 2 conditions doivent être réunies afin de pouvoir consulter les courriels d’un salarié, sans sa présence :

• Ils doivent provenir de la messagerie professionnelle du salarié ;
• Ils ne doivent pas être identifiés comme étant personnels ou leur contenu ne doit pas relever de la vie privée du salarié.

 

Si l’une de ces conditions n’est pas remplie, et à défaut d’une décision de justice, l’employeur ne pourra pas consulter les mails du salarié sans sa présence.

 

Le respect de ces conditions est d’autant plus impératif qu’à défaut et en cas de contentieux prud’homal, toute sanction qui serait justifiée par la production d’un e-mail obtenu illégalement serait abusive.

 

Enfin, si la surveillance des courriels des salariés est réalisée dans le cadre d’un dispositif de contrôle, l’employeur est dans l’obligation de le porter préalablement à la connaissance des institutions représentatives du personnel et des salariés de façon individuelle, ledit dispositif devant être impérativement proportionné au but recherché.

Le contrôle des appels téléphoniques des salariés doit être proportionné aux objectifs poursuivis

L’écoute en temps réel et l’enregistrement sonore des appels sur le lieu de travail peuvent être réalisés, après information des salariés, en cas de nécessité reconnue et doivent être proportionnés aux objectifs poursuivis. Ainsi, l’employeur peut installer un dispositif d’écoute et/ou d’enregistrement ponctuel des conversations téléphoniques pour :

 

  • former ses salariés (par exemple, réutiliser des enregistrements comme support afin d’illustrer son propos lors de formations),
  • les évaluer,
  • améliorer la qualité du service (par exemple, en étudiant le type de réponse apporté au client),
  • dans certains cas limités prévus par un texte légal, les appels peuvent servir de preuves à l’établissement d’un contrat ou à l’accomplissement d’une transaction.

Des documents d’analyse (comptes-rendus ou grilles d’analyse) peuvent être rédigés sur la base des écoutes et enregistrements dès lors qu’ils s’inscrivent dans ces objectifs.

 

À cette occasion, l’employeur ne peut collecter et traiter que des informations nécessaires au but poursuivi (données d’identification du salarié et de l’évaluateur, informations techniques relatives à l’appel, évaluation professionnelle de l’employé).

 

L’employeur ne peut pas mettre en place un dispositif d’écoute ou d’enregistrement permanent ou systématique, sauf texte légal (par exemple, pour les services d’urgence). L’employeur ne peut pas non plus enregistrer tous les appels pour lutter contre les incivilités. Il doit choisir un moyen moins intrusif (par exemple opter pour un système permettant au salarié de déclencher l’enregistrement en cas de problème).

 

En outre, les salariés doivent être informés des périodes pendant lesquelles ils sont susceptibles d’être écoutés ou enregistrés.

Afin de garantir leur vie privée, l’employeur doit mettre à disposition des salariés des lignes téléphoniques non reliées au système d’enregistrement, ou un dispositif technique leur permettant de couper l’enregistrement, pour les appels personnels. Il en va de même pour les appels passés par les représentants du personnel dans le cadre de l’exercice de leurs mandats.

L’information préalable des salariés est une condition essentielle de la validité des systèmes de surveillance

L’information préalable des salariés a été renforcée par le Règlement général sur la protection des données (RGPD) nᵒ2016/679 du 24 mai 2016 et applicable depuis le 25 mai 2018.

 

En effet, avant l’application de cette règlementation, l’information des salariés ne devait intervenir que lorsqu’un dispositif de contrôle de leur activité était mis en œuvre (exemple : mise en place d’un système de vidéo-surveillance). La simple possibilité de consulter des emails n’était, en elle-même, pas constitutive d’un système de contrôle et n’avait donc pas à donner lieu à une information spécifique préalable, la jurisprudence déterminant précisément les cas dans lesquels l’employeur pouvait consulter les emails d’un salarié sans son accord et sans sa présence.

 

Depuis le 25 mai 2018, les salariés doivent être systématiquement et préalablement informés des méthodes et des objectifs poursuivis donnant lieu à un traitement de leurs données personnelles, ainsi que de la durée de conservation de ces données.

 

La surveillance des e-mails et l’écoute ou l’enregistrement de leurs appels téléphoniques constituent indéniablement des traitements de leurs données personnelles dont les salariés doivent être préalablement informés.

 

L’information préalable des salariés est la condition sine qua none permettant de mettre en place une surveillance de leur activité et, le cas échéant, justifier un licenciement.

 

Depuis le RGPD, cette information doit nécessairement comprendre l’ensemble des éléments suivants :

  • Les modalités du traitement des données personnelles, leur base juridique et leurs objectifs ;
  • L’identité et les coordonnées du responsable des traitements et/ou du délégué à la protection des données (DPO) ;
  • Les catégories des données personnelles concernées ;
  • La durée de conservation des données personnelles ;
  • Le rappel des droits du salarié sur ses données personnelles et les modalités d’exercice de ses droits ;
  • Les destinataires des données personnelles, notamment lorsque ces dernières font l’objet d’un transfert dans l’UE ou hors UE ;
  • La possibilité de transférer les données personnelles du salarié à une autre entité juridique si l’entreprise appartient à un groupe.

Les sanctions peuvent être importantes

Outre les risques portant sur le caractère éventuellement abusif d’une sanction ou d’une rupture de contrat de travail fondée sur des preuves obtenues de façon illégale, les manquements aux règles relatives au traitement des données personnelles peuvent faire l’objet de sanctions pénales, civiles et/ou administratives selon les cas.

 

Par exemple, l’absence d’information des salariés sur le traitement de leurs données personnelles en application du RGPD donne lieu à des amendes administratives pouvant s’élever jusqu’à 20 millions d’euros ou, dans le cas d’une entreprise, jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent, le montant le plus élevé étant retenu.

 

Je conseille régulièrement mes clients dans la mise en œuvre de système de surveillance de l’activité de leurs salariés, au cas par cas en fonction des méthodes à mettre en place. Compte-tenu des enjeux en cause et de la complexité des règles applicables, il est vivement recommandé de se faire conseiller avant d’implanter un système de surveillance qui, potentiellement, serait illégal.

 

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