Alicia Philibin-Kayser est avocat à Paris Marne la Vallée. Elle intervient en droit du travail au service des employeurs et en droit équin.

Nouvelle reconnaisance d’un contrat de travail pour un livreur à vélo par la Cour de Cassation

Jusqu’à récemment, les livreurs à vélo de plateformes étaient considérés comme des travailleurs indépendants, ce qui signifie qu’ils n’avaient pas les mêmes droits et protections que les employés sous contrat de travail, déclenchant un débat juridique et politique important. Alors qu’une présomption de salariat est en cours de discussions depuis plus de deux ans, la Cour de Cassation a, de nouveau, reconnu la qualité de salarié à un livreur de la plateforme TokTokTok dans un arrêt du 27 septembre 2023 (n° 20-22.465).

Les enjeux de la requalification en contrat de travail

La requalification en contrat de travail des livreurs à vélo de plateformes est un enjeu majeur pour plusieurs raisons :

 

  • d’un côté, elle garantirait aux livreurs des droits et des protections essentiels, tels que le droit au salaire minimum, les congés payés, la couverture d’assurance maladie et la possibilité de se syndiquer. Cela signifie que les livreurs bénéficieraient d’une plus grande stabilité financière et d’une meilleure sécurité sociale.
  • d’un autre, la requalification pourrait également avoir un impact sur l’industrie de la livraison à vélo dans son ensemble. Les plateformes devraient alors prendre en charge les coûts liés à l’embauche d’employés, ce qui pourrait entraîner une augmentation des prix pour les consommateurs.

L’appréciation du lien de subordination juridique

En raison de l’immatriculation du travailleur de plateforme au registre des commerces et des sociétés, la présomption d’indépendance s’applique. Aussi, selon l’article L. 8221-6 du code du travail, le travailleur est présumé ne pas être lié avec le donneur d’ordre par un contrat de travail. Réfragable, cette présomption peut être renversée si le travailleur parvient à apporter la preuve qu’il fournit ses prestations au donneur d’ordre dans des conditions qui le place dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci, défini depuis l’arrêt Société générale comme « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».

 

Dans le cas du livreur de la plateforme TokTokTok, le « contrat » était également assorti de « Conditions particulières » et d’une « charte déontologique du runner », dont les clauses « définissaient avec précision les conditions dans lesquelles les prestataires devaient exécuter les tâches confiées par la plateforme ».

 

Le livreur faisait valoir plusieurs éléments pour solliciter la reconnaissance d’un contrat de travail :

  • il devait livrer des biens pour le compte de la plateforme sans pouvoir se constituer une clientèle propre ou travailler pour une société concurrente.
  • il devait utiliser une carte bancaire fournie par la plateforme pour effectuer les achats à livrer, ce dont il en déduisait l’intégration dans un service organisé,
  • il était rémunéré selon un taux horaire fixe,
  • il avait l’obligation de porter une tenue au logo de la plateforme et d’accepter la commande dès lors qu’il était connecté,
  • Enfin, ces différentes obligations étaient imposées à peine de sanction, pouvant aller jusqu’à la résiliation du contrat de prestations de service.

Tous ces éléments caractérisaient un lien de subordination juridique permettant, selon la Cour de Cassation, la reconnaissance d’un contrat de travail.

Les développements récents et l’avenir de la requalification

Les travailleurs de plateforme se sont organisés en collectifs pour défendre leurs droits (exemple: Collectif des livreurs autonomes parisiens [CLAP-75] ou le Collectif PETT). Le législateur est intervenu tantôt en reconnaissant quelques droits fondamentaux aux travailleurs « indépendants » des plateformes, tantôt en créant une charte de responsabilité sociale, ou encore en instaurant un dialogue social de secteur. Des organisations syndicales se sont données pour objet l’étude et la défense des droits et des intérêts matériels et moraux des travailleurs de plateforme.

 

Puis, des accords ont été conclus dans les secteurs des VTC et de la livraison de marchandises (pour les accords du secteur des livreurs ; pour les accords du secteur des VTC) et la requalification en contrat de travail des livreurs à vélo de plateformes est devenu un enjeu complexe avec des implications importantes pour les travailleurs, les entreprises et les consommateurs. 

 

Alors que la lutte pour les droits des livreurs à vélo se poursuit, il est essentiel de trouver un équilibre entre la commodité des services de livraison à vélo et la création d’un statut indépendant pour les travailleurs qui les rendent possibles. Le projet de directive actuellement en discussion sur les travailleurs de plateformes prévoit une présomption réfragable de contrat de travail dès lors que la plateforme remplit au moins deux (voire trois, à lire la dernière position du Conseil) des sept critères de contrôle listés. Parmi les critères, on retrouve notamment la détermination des plafonds du niveau de rémunération, la supervision du travail, l’absence de liberté d’accepter et de refuser des tâches et l’absence de clientèle propre. En cas de litige, ce sera à la plateforme de prouver l’absence de subordination, et donc l’indépendance du travailleur. Affaire à suivre…

 

 

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